Orhan Veli KANIK (1914-1950)  
   
      J’écoute Istanbul
     

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

D’abord, une brise légère

doucement, tout doucement se balancent

les feuilles sur les arbres

dans le lointain, tout au loin

les cloches obstinées des porteurs d’eau

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

tandis que passent les oiseaux

tout là-haut, par longues bandes criardes

Dans les pêcheries on tire les filets

les pieds d’une femme baignent dans l’eau

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

Les voûtes du Bazar sont fraîches, si fraîches

Mahmout Pacha est tout grouillant de monde

les cours sont pleines de pigeons.

Des bruits de marteaux montent des docks

dans le vent doux du printemps flottent des odeurs de sueur

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

Une yali aux sombres embarcadères

dans sa tête, l’ivresse des plaisirs d’autrefois

Dans le ronflement des vents du sud apaisés

j’écoute Istanbul, les yeux fermés

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

Une beauté marche sur le trottoir

quolibets, chansons, ballades, moqueries

Quelque chose tombe de sa main

ce doit être une rose

j’écoute Istanbul, les yeux fermés

J’écoute Istanbul, les yeux fermés

Un oiseau bat des ailes autour de ta robe

je sais si ton front est tiède ou frais

si tes lèvres sont humides ou sèches, je sais

Une lune blanche se lève derrière les pins

je perçois tout du battement de ton cœur

j’écoute Istanbul

      Source : Orhan Veli
"J'écoute Istanbul"
       
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